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En 2019, Harley-Davidson frappait fort au CES avec son modèle de moto électrique connectée LiveWire, dont la recharge est activable par smartphone. La même année, le japonais Bridgestone (n°1 mondial des pneumatiques), rachetait la division télématique de TomTom pour près d’un milliard d’euros. Ces événements montrent le fort engouement pour la télématique, souvent perçue comme un marché florissant.

Mais qu’entend-on exactement par télématique ? Ce mot-valise, construit à partir de télécommunication et informatique, désigne la convergence entre les systèmes de télécommunication et d’information. Depuis quelques années, nos voitures tendent à devenir de véritables ordinateurs roulants, émettant en temps réel des quantités de données toujours plus importantes. Selon une étude du cabinet Gartner [1], le volume de données émis par le parc automobile mondial devrait augmenter de 236% chaque année entre 2013 et 2030. Cette croissance, liée à un taux d’équipement des véhicules par la télématique en forte augmentation, est permise par les progrès des infrastructures de télécommunication (4-5G, WLAN, IoT…) ainsi que ceux des techniques de stockage et traitement des données (cloud-computing, IA, machine learning …). L’exploitation de ces masses d’information émises par les automobiles ainsi que leur traitement (soit par des systèmes embarqués dans le véhicule, soit par des structures à distance) permettent le développement d’applications sophistiquées.

La gestion de flotte automobile a largement profité des apports de la télématique embarquée. De nombreux acteurs (des pure players de la télématique comme Masternaut aux leaders de la gestion de flotte comme Arval ou ALD) ont développé des services destinés à optimiser le fleet management. Elles s’appuient ainsi sur la géolocalisation et le traitement des données de conduite pour analyser entre autres le comportement du chauffeur, la consommation de carburant, le dispatching de la flotte, l’utilisation de chaque véhicule, etc… Entre une diminution significative du TCO (Total Cost of Ownership, coût total de possession), une optimisation de l’utilisation de la flotte et une sécurité accrue, les bénéfices seraient multiples.

L’assurance automobile est également bouleversée par l’arrivée de la télématique. De plus en plus d’assureurs proposent ainsi des polices sur-mesure dont la prime est indexée sur le nombre de kilomètres roulés (PAYD, Pay As You Drive) ou le comportement au volant (PHYD, Pay How You Drive). Si ces polices rencontrent un grand succès dans les pays où l’assurance auto est onéreuse (comme l’Italie), elles ont encore du mal à rencontrer leur public en France. Néanmoins, de nombreux assureurs français (Groupama via sa filiale Amaguiz, Axa via sa filiale Direct Assurance, la MAIF…) ont franchi le pas.

Le champ des possibles ouvert par la télématique semble ainsi très large, ce qui explique la forte croissance de ce marché. Selon une enquête du cabinet d’études américain Report and Data [2], le marché mondial de la télématique automobile pourrait croître de près de 19% chaque année entre 2019 et 2026. Ainsi, de nombreuses entreprises ont investi ou sont en train d’investir dans ce domaine. Elles viennent d’horizons très différents. On y retrouve ainsi des opérateurs de télécommunication (SFR, Orange via sa filiale Ocean), des géants de l’informatique (SAP qui propose un système de fleet managment), des start-ups innovantes (à l’instar du Français WeNow, qui a récemment levé plusieurs millions d’euros et propose un boîtier destiné à favoriser l’éco-conduite). Les constructeurs et équipementiers automobiles développent également leur présence sur le marché de la télématique, avec l’ambition de diversifier leur catalogue de produits ou de devenir des opérateurs de services. En témoigne le partenariat conclu en 2018 entre Opel-Vauxhall et Masternaut, pour l’installation en première monte de solutions de télématique, ou encore les investissements engagés par l’équipementier français Valéo, qui a absorbé les pure player Peiker et Kuantic, en 2016 et 2017.

L’horizon ne semble cependant pas totalement dégagé pour la télématique automobile. En effet, de nombreux obstacles pourraient menacer le marché. Les solutions de télématique se heurtent tout d’abord à une certaine réticence de la part des conducteurs ou des grands gestionnaires de flotte. Selon une étude menée par l’organisme FleetEurope [3], 62 % des fleet managers font face à la méfiance voire au refus des conducteurs. Il s’agit de l’obstacle le plus fréquemment rencontré dans l’implémentation des solutions de télématique, devant l’impact des lois de protection de la vie privée (51%). En Europe le cadre défini par le RGPD (Réglementation Générale sur le Protection des Données) peut être vu comme un frein au développement rapide et massif des services de télématique dans la mesure où il assujettit le partage des données au consentement de l’utilisateur. Le manque de retour sur investissement arrive en troisième position des obstacles au développement de la télématique (43%). De fait, le développement des services télématiques nécessite d’investir à la fois dans du hardware (boîtiers télématiques), dans la collecte, le traitement et l’analyse des données des véhicules, mais également dans le développement de services performants et innovants (UX design, modèle de commercialisation et de distribution, applications et logiciels de gestion de flotte, etc.). Et l’impact sur le TCO ne semble pas nécessairement évident, que cela soit pour un particulier comme pour un gestionnaire de flotte.

Pour faire face à ces différents défis, certains acteurs ont pris les devants. Les développeurs de solutions télématiques sont de plus en plus nombreux à ajouter des fonctionnalités afin de renforcer le respect de la vie privée. On pense ainsi au boîtier de Masternaut qu’il est possible de débrancher pour arrêter la géolocalisation. La CNIL a émis en 2017 une série de recommandations pour une utilisation des données automobiles encadrée et respectueuse de la RGPD. Enfin, des initiatives commencent à être prises au niveau sectoriel afin de faciliter le partage des données. La Plateforme de la Filière Automobile (organisme regroupant les principaux acteurs du secteur automobile en France) s’est de son côté lancée dans des travaux pour la définition de normes facilitant le partage des données.

La télématique constitue ainsi un marché prometteur, qui fait néanmoins face à de nombreux obstacles. Les parties prenantes de la télématique sauront-elles trouver des modèles économiques durables et répondre à l’exigence d’une exploitation des données plus sûre et plus éthique ?

Cyril Rousset et Lionel Chapelet

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Crédit : photo DR

[1] Hype Cycle for Connected Vehicles and Smart Mobility, Gartner, 2017

[2] https://www.globenewswire.com/news-release/2019/06/11/1867173/0/en/Vehicle-Telematics-Market-To-Reach-USD-98-27-Billion-By-2026-Reports-And-Data.html

[3] https://www.fleeteurope.com/en/financial-models/europe/features/telematics-survey-safety-and-management-benefits-trump-driver-resistance?a=BUY03&t%5B0%5D=Telematics&curl=1

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