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L’actualité réserve toujours des surprises. Le 4 décembre dernier, deux conférences distinctes et a priori sans rapport se télescopaient dans l’univers feutré des rencontres parisiennes : le palmarès des mobilités de Ville, Rail et Transport, dans le chic hôtel des Arts et Métiers, puis la rencontre de l’Ecole de Paris du Management au siège d’Engie, à La Défense : « Quel futur de la mobilité dans les grandes villes ? » Ou comment le pragmatisme du terrain s’oppose aux envolées prospectives qui promettent la révolution des mobilités.

Le très théorique thème de la conférence d’ouverture de VRT « ‘Mobility as a Service’ : est-ce lʼavenir ? » s’est ainsi transformé le jour J en « Nouvelles mobilités, villes intelligentes : cinq expériences qui marchent » : voici nos 3 mousquetaires nationaux Keolis, Transdev et RATP Dev présenter leurs expérimentations dans leurs DSP respectives, à côté d’un EPIC SNCF plutôt passif et une agglo franchement active (Mulhouse Alsace).

Des expérimentations un brin techniques, aux périmètres plutôt réduits pour Keolis et Transdev qui avancent doucement mais sûrement leurs pions dans les nouveaux services : pour le premier, la validation par carte bancaire à Dijon, considérée comme un vrai succès et qui atteint 2% des trajets de l’exploitant, en ciblant surtout les touristes ; pour le second quatre Renault Zoé autonomes qui roulent à 30 km/h dans une zone industrielle de Rouen où l’offre TC est inexistante, dans un partenariat où Renault, Transdev et la Matmut expérimentent avec la bénédiction et les subventions de la métropole et de la région (11 M€ dont 4 M€ d’argent public).

Ces deux cas traduisent cependant bien un focus enfin concrétisé vers des cas d’usages concrets d’une innovation technologique qui tourne en boucle depuis des années, c’est-à-dire depuis qu’on nous promet les ITS et le monde nouveau de la mobilité PACE – personnalisée, autonome, connectée, électrique (Transdev) – ou CAPE – connectée, autonome, partagée et électrique (Mercedes), on ne sait déjà plus trop.

On retrouve un autre vent porteur chez RATP Dev, la data, sa valeur et son usage, sous le regard pragmatique de celui qui a connu cette non-révolution : « on avait des solutions mais personne n’avait de problème ! ». A Casablanca, RATP Dev a développé la genèse de Citio (qui n’a même pas été cité dans la conférence) avec un potentiel certain pour d’autres applications et d’autres réseaux, à commencer à Riyad. Ou comment on a enfin trouvé des cas d’usage à valeur ajoutée dans l’analyse fine des données d’exploitation (notamment la billettique !) pour améliorer la connaissance des clients et des problèmes du réseaux, les deux étant évidemment intrinsèquement liés.

Quant à la SNCF côté EPIC, on comprend qu’on mise surtout sur la filiale Keolis pour innover quand on se lance dans la mobilité autonome à travers un projet d’ingénieurs certes techniquement très intéressant mais sans s’intégrer dans une demande effective des mobilités urbaines ou périurbaine et sur un calendrier probablement incertain et certainement lointain (« pas avant 2020 »). Pour autant, la SNCF dispose de nombreux atouts à faire valoir, à commencer par son foncier : où y a-t-il encore de la place pour des accès au cœur de chaque ville, si ce n’est sur d’anciennes voies fret, la refonte de certains faisceaux ou plus directement la rénovation de terrains inutilisés par la SNCF ?

Mais c’est finalement du côté de Mulhouse, c’est-à-dire du côté de la demande ou de ceux qui l’interprètent et s’en font le porte-parole, même dans une agglomération de taille intermédiaire (280 000 habitants), que l’on trouve l’expérimentation qui semble la plus transformatrice des mobilités. Ainsi donc, simplifier les usages, développer le paiement à l’usage, créer un « compte mobilité » qui ouvre la voie à une utilisation simple, conjointe et complémentaire des différents modes de la ville (TC, stationnement, VLS, autopartage), ferait le bonheur à la fois des différents acteurs et des habitants ? Comme très justement souligné à cette occasion, les deux piliers de cette réussite du premier « MaaS à la française » sont la double co-construction, d’une part avec chaque acteur et ses enjeux propres, d’autre part avec les utilisateurs finaux, dans une logique de maximisation de la valeur du service. Quant à intégrer le dernier mode structurant, le TER, reste à faire évoluer la SNCF sur une logique de post-paiement culturellement très éloignée de la tradition ferroviaire et sans même aborder des logiques plus pragmatico-tarifaires sur les impacts recettes.

La rupture ne peut être plus franche avec la 2e conférence du jour donc, « Quel futur de la mobilité dans les grandes villes ? », organisée par le cycle de conférence de l’Ecole de Paris du management et Engie, et animée par P. Pélata, ex-DG de Renault et actuel consultant, Mathieu Dunant, directeur de l’innovation RATP, et Franck Bruel, DGA business unit France B to B d’Engie. Ou comment se retrouver plongé dans l’univers des véhicules autonomes qui sillonneront nos villes demain (à Phoenix), après-demain (en Californie) ou d’ici quelques années en Europe.

« A chaque mobilité personnes / marchandises, à chaque réalité locale sa solution », nous répétera M. Bruel. Il n’empêche, on a du mal à ne pas se projeter dans un monde où la voiture individuelle est définitivement remplacée par des petits véhicules autonomes qui nous rabattront vers des infrastructures lourdes (le RER A a encore de l’avenir), générant une efficacité générale mesurée par différentes simulations informatiques (notamment par l’OCDE à Lisbonne) : suppression de la congestion et amélioration des temps de parcours, division par 10 ou 20 des besoins de stationnement, c’est-à-dire beaucoup d’espace rendu à la ville, le tout avec des véhicules électriques évidemment sans émissions de CO2 ou autres particules et notablement moins bruyants.

Alors certes il y a quelques petits sujets à traiter d’ici là, sur le design de véhicules conçus pour l’autopartage (« la business class de l’avion : on est à côté, mais on ne se voit pas, on ne se sent pas » ? P. Pelata), sur la période de transition, potentiellement inefficace et destructrice de valeur tant que le véhicule individuel continuera d’occuper les routes, sur les zones de pertinence, en commençant par le périurbain des grandes agglomérations (la première liaison autonome sera-t-elle La Défense – Roissy avant que le Grand Paris Express ne comble ce trou d’offre ?), sur les problèmes de gestion de flottes, d’entretien, de maintenance et de raccordement au réseau électrique de milliers de véhicules, et sans même trop creuser les enjeux liés à la saturation du réseau TC structurant qui reste primordial dans ces modèles (quand bien même on automatiserait le tronçon central du A ou qu’on ferait un Eole en deux branches) ou effleurer le nombre d’EPR ou d’éoliennes, selon les convictions religieuses, qu’il faudra construire pour alimenter ex nihilo un parc de véhicules électriques.

Un monde de l’offre donc, avec ses questions classiques sur la protection des données, dans un algorithme qui nous offrira individuellement en permanence l’offre la plus adaptée, ou encore la vulnérabilité du système, dans un monde de véhicules tous interconnectés (un virus étranger qui cause une panne : quel cataclysme sur l’activité, sans parler des enjeux de santé, de salubrité…).

Mais pas un mot sur un sujet qui semble pourtant une roue essentielle de ces nouveaux carrosses : quelles évolutions des usages sous-jacentes à ces nouvelles mobilités ? Même si effectivement cet univers d’autonomie ne s’inscrit que dans un monde de MaaS où le véhicule est un moyen parmi d’autres qui n’est utilisé que dans les cas les plus adaptés, comment anticiper les biais inhérents à ces modèles : la valeur du temps de transport enfin regagnée comme incitation structurelle à l’étalement urbain et à l’allongement des temps de trajet, opposée à une limite à la liberté individuelle au profit de l’efficacité collective. On parle bien d’augmentation des zones de chalandise, donc de la valeur générale, mais quid de l’impact global sur la société ?

Alors certes on s’y plonge volontiers, et l’on veut bien voir, même sans être allés au bout des modèles suffisamment fins comme le souligne M. Pelata, que ce monde arrive et qu’il embarque des avantages certains pour la mobilité périurbaine notamment et pour l’efficacité générale des transports ; qu’il serait bon de soutenir la filière française ou au moins européenne pour ne pas tout laisser à Waimo et ses milliards de kilomètres virtuels d’avance, qui, même freiné par les complexités réglementaires ou la gestion d’un service public, pourra capter l’essentiel de la valeur. Ce monde arrivera, et la réglementation doit déjà s’y attendre. Reste à en tenir compte comme un facteur commun entre toutes ses composantes, de l’énergie à la sociologie, de la voiture à l’urbanisme.

Hugues Marchal

Crédit photo : CHOMBOSAN VIA GETTY IMAGES

 
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